Mise en scène

Lorsque Georges de Cagliari, poète et auteur dramatique m’a proposé sa nouvelle pièce, Fin de terre, j’ai été  immédiatement touchée par ce texte où son écriture révèle l’une des plus grande menace pour l’humanité.

Fin de Terre de Georges de Cagliari aborde un sujet grave et universel sans jamais tomber dans les discours lénifiants, sans imprécations, juste pour proposer au spectateur une réflexion sur notre monde. La pièce met en parallèle un drame humain : des viols à répétitions subis par Annia et un drame planétaire lié aux bouleversements climatiques pour tenter de trouver au delà de la blessure profonde les ressources pour se reconstruire. Dans une langue vivante qui laisse transparaître un univers émotionnel riche, chacun des personnages se dessine peu à peu, comme par touches. Deux femmes se fondent dans le décor initial, indissociables l’une de l’autre : Madame, mystérieuse, sèche en apparence, pourtant si tendre lorsqu’on sait l’émouvoir et la jeune Annia, personnage plein de vie et d’humanité malgré le drame qu’elle a vécu.

Au cataclysme intérieur qui agite les personnages s’ajoute le cataclysme extérieur qui ravage le monde. L’espace se resserre et s’étend, le vide s’éprend de la force des protagonistes, les relations entre les personnages se renforcent et s’intensifient. La force vitale d’Annia et le regard ironique et acéré de Radjick s’opposent à la force destructrice du monde qui les entoure et au profond désir de vengeance inassouvi de Madame. Musicalité du verbe et silences, ponctués par les déflagrations de l’effondrement progressif de la falaise, sont la palette sonore du spectacle. L’action, c’est le dehors, invisible, audible seulement, qui imprègne les personnages et laisse entrevoir toute l’horreur de ce monde hostile qui se désagrège lentement, inéluctablement.

L’image initiale laisse apparaître les premières fêlures, on soupçonne le drame, on l’entrevoit. On imagine… L’intérieur : un bistrot transformé en blockhaus, ce lieu unique est le cadre qui stabilise le spectateur. Il est aussi la manifestation d’une ambiance qui est en perpétuelle transformation sans pour cela bouleverser le décor ou changer tous les meubles. Refuge chaleureux. Annia le perçoit même comme une sorte de nid protecteur, alors qu’elle continue à avoir peur des éléments extérieurs. Le bar positionné au nord de la pièce principale est un comme rempart, espace le plus éloigné de la porte et de la fenêtre. C’est aussi un foyer, là où le repas se prépare. C’est un lieu où se trouve la carafe remplie d’eau présence de cet élément qui se fait rare et précieux. On sent le quotidien, la chaleur de la maison tenue par les deux femmes, impeccable, mais c’est comme s’il manquait quelque chose ou quelqu’un. Pour Radjick, c’est un lieu de transit, d’usage. Il s’y réfugie lorsqu’il est poursuivit et ne sait plus où se cacher, comme une ” planque ” , ce lieu qui abrite la vieille avec ses secrets, et Annia objet de son désir le plus profond, et de sa honte la plus grande. Il s’y réfugie comme on se jette dans la gueule du loup et le bistrot devint avec l’arrivée de Radjick un lieu d’affrontement de l’esprit et de la pensée. L’espace est d’ailleurs scindé en deux : à l’Ouest Madame et à l’Est, Radjick. La rencontre d’Annia et Radjick va bouleverser l’espace comme un cœur qui bat la chamade, ou un petit ouragan qui tourne dans la pièce, jusqu’à l’accalmie. L’arrivée de John et Vanessa Voltness transforme le lieu et l’assombrit, il y plane une atmosphère presque inhospitalière. C’est la projection qui en est faite par Vanessa qui en fait apparaître la saleté, les odeurs, et le côté archaïque. On ressent avec une grande intensité dramatique le rapport de l’homme à la terre, à sa terre et les conséquences dramatiques que certaines décisions – ou manques de décision – peuvent avoir.

Fin de Terre c’est aussi le rapport à l’autre, à la violence que l’homme subit et à celle qu’il inflige. L’humanisme y prend une place centrale et le travail des acteurs nous permet d’entrevoir sincérité et émotion dans le canal de la beauté du texte. A la fin, le noir et le silence, après la disparition des corps, appellent le questionnement du public et permettent à l’émotion de s’apaiser et à la prise de conscience d’émerger. La force de Fin de Terre c’est aussi de ne jamais sacrifier la dramaturgie à la volonté d’alerter sur un des plus grand péril de notre temps.

Sara Veyron